Partager des moments spéciaux, communiquer avec des amis à distance, donner son opinion, autant de fonctions dont on peut profiter en utilisant les réseaux sociaux. Pourtant, ces médias utilisés sans parcimonie peuvent traduire une véritable addiction, consolidée par un mal-être et une estime de soi bancale. Cela peut également exacerber le narcissisme, un comportement matérialisé par l’aliénation de son image.

Comment ces supports peuvent amplifier ce trait de caractère chez les jeunes en quête identitaire ?

Les adolescents et les jeunes adultes peuvent ressentir un besoin conséquent d’appartenance à un groupe. Pour s’intégrer et échanger en société, il est alors important de s’imprégner des codes. L’usage des réseaux sociaux en fait partie. Adoptés par toutes les générations, ces médias peuvent parfois être des vecteurs conduisant à des comportements qui exacerbent l’ego. Facebook, Twitter, Instagram, Snap Chat, Tik Tok, autant de supports qui peuvent s’avérer néfastes pour l’affirmation de soi.

Un mécanisme neurologique

Si un bon nombre d’utilisateurs fait de l’usage des réseaux sociaux un moment privilégié et répétitif, c’est essentiellement que leur consultation stimule le plaisir. Et ce phénomène est scientifique, puisqu’un échange ou une validation telle qu’un « like » enclenche un mécanisme responsable de l’addiction. Lors de l’utilisation de ces médias, de la dopamine est sécrétée, provoquant une sensation d’euphorie souvent attribuée à la consommation de drogues. Notre système de récompense et ainsi gratifié, entraînant la consultation répétitive de nos réseaux sociaux. Lorsque nous recevons un j’aime ou un commentaire, nous pouvons être happés par l’adrénaline conduite par la curiosité mais également être témoins de l’action du neurorécepteur qui provoque un état de plénitude.

Une compétition digitale

En ce qui concerne le partage de publications, nous sommes pour la plupart tentés de nous montrer sous notre meilleur jour. Voyages, accomplissements, bonheurs familiaux, autant d’évènements gratifiants que nous avons envie d’échanger avec nos amis mais parfois des inconnus. Si cette volonté peut être pavée de bonnes intentions, cela peut également entraîner un désir de compétition collective qui peut s’avérer délétère pour l’estime de soi. En effet, il peut être décourageant de voir que notre communauté peut avoir une vie plus épanouissante et stimulante.

Une fragilité narcissique

Si la propension des adolescents à partager frénétiquement des contenus est commune, ce comportement chez les jeunes adultes peut traduire une fêlure narcissique. Selon Michael Stora, psychanalyste, ce rapport aux réseaux sociaux chez les jeunes adultes traduit une volonté de recevoir un retour émotionnel et affectif quant à sa vie. Une attitude qui peut résulter d’un manque d’estime de soi qu’on imagine amenuisé par une validation de nos pairs sur Internet.


Un support thérapeutique

Heureusement, l’usage des réseaux sociaux peut parfois être salutaire. C’est ce qu’explique Michael Stora dans la tribune qu’il a accordé. En effet, ces supports peuvent être le moyen d’exister autrement pour mieux affirmer son identité. Cette barrière de l’écran permet de diminuer l’inhibition et de rendre les échanges plus authentiques. Ainsi, une personne introvertie se sentira plus libre d’exprimer ses émotions, d’autant plus que la libération de ces dernières peut contribuer au bien-être. Cet avatar social permet aux personnes de « s’affranchir » d’une identité parfois formatée par des mimétismes dont il peut être parfois difficile de se défaire.

Un comportement commun

Si ces gestes répétitifs ne sont pas toujours révélateurs d’une addiction, l’usage permanent des réseaux sociaux est une habitude partagée par un grand nombre. Cela peut compromettre les liens sociaux dans la mesure où les rapports peuvent être altérés par la facilité à communiquer. Ainsi, les visites amicales sont de moins en moins fréquentes car ces médias viennent faciliter les échanges. La volonté d’immortaliser des moments tel qu’un beau paysage ou un bon repas peut nous faire passer à côté de l’essentiel : savourer l’instant. Le narcissisme ne sera pas consolidé par un partage éphémère mais plutôt par un affranchissement des sentiers balisés par l’usage d’Internet.

Comment se libérer de cette addiction ?

La propension à publier frénétiquement des contenus peut altérer nos relations sociales mais également la perception de notre image. Seulement, cette addiction n’est pas inéluctable puisqu’elle peut être combattue par de nouvelles habitudes. Désactiver ses notifications, pratiquer des activités stimulantes, acquérir de l’autodiscipline, fréquenter des personnes moins connectées, prendre des pauses, autant de gestes qui permettent de « décrocher » de cette propension qui peut être toxique pour soi et les autres. Cette attitude peut également consolider les tendances à la procrastination qui amenuisent la motivation. 


Psychologue et professeur à l’Université  du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Dominick Gamache explique ce phénomène.

«Il existe un lien entre le narcissisme et certains comportements observés sur les réseaux sociaux, mentionne d’entrée de jeu le professeur. C’est un trait de personnalité qui a deux facettes. D’un côté, il y a les gens qui adoptent des comportements grandioses, c’est-à-dire qui se mettent en valeur, qui rêvent au succès et à la gloire. D’un autre côté, il y a des gens plus vulnérables qui ont une faible estime de soi.»

La publication de «selfies» fait partie des comportements narcissiques grandioses. «On parle de grandiosité quand les gens font de l’autopromotion et se présentent sous leur jour le plus favorable, quitte à tricher avec des filtres et autres éléments qui peuvent les avantager», explique M. Gamache.

Dans leur quête du plus grand nombre de réactions, ces utilisateurs investissent également beaucoup de temps et d’énergie à surveiller le nombre de commentaires, de «j’aime» et de partages sur leurs publications.

«Il y a un effet addictif quand une personne reçoit beaucoup de «j’aime» pour ses publications. C’est comme une drogue. Chez certaines personnes, il se crée la même chose au niveau du cerveau que l’on retrouve pour d’autres dépendances comme l’alcool», indique le psychologue.


Selon ce dernier, les réseaux sociaux ne sont pas la cause de comportements narcissiques bien qu’ils constituent des outils simples, rapides et accessibles pour les personnes plus vulnérables.


Éducation et réflexion

On le répète souvent : la modération a bien meilleur goût. C’est aussi vrai en ce qui concerne l’utilisation des réseaux sociaux. Mais est-il possible pour les narcissiques de publier avec modération?

«Est-ce que c’est possible de demander à un alcoolique de boire avec modération? C’est comparable», répond simplement le professeur. À son avis, mieux vaut prévenir que guérir. «Il faudrait éduquer les gens sur les comportements sains et malsains en lien avec les réseaux sociaux», croit-il.

M. Gamache remarque que les utilisateurs de ces plateformes n’ont pas tendance à prendre un temps d’arrêt pour se questionner sur leurs motivations à mettre en ligne des moments de leur quotidien. Une pause qui serait pourtant bénéfique, considère le psychologue.